Cette année, le thème choisi pour le #ChallengeAZ collaboratif organisé par #Généa79 est la photographie, quel que soit la forme, le sujet.
Youpi ! Cela me permet de faire d’une pierre deux coups, en assurant ainsi la suite, jusqu’alors délaissée, de mon article du ChallengeAZ2021 sur l’école.

Dans le tiroir de la bonnetière, les photos ne manquent pas. Des mariages familiaux et des portraits sur plus de cinquante ans, aux soldats de la Grande Guerre, en passant par les cartes postales des endroits qu’ils ont traversés, les photos sont nombreuses. Mais l’une d’entre elles s’impose, très certainement parce qu’elle est peut-être la plus ancienne. Une très vieille photo de classe. Pas de date, pas de lieu, bien entendu, si ce n’est au dos la mention Marie-Louise Niveau écrite à la plume avec une très belle calligraphie.
Sur l’image figée, ils sont plus d’une cinquantaine d’écoliers et écolières à entourer leur maître, qui pose un livre à la main, preuve de son savoir et de son autorité sur cette jeune population. Au milieu, plein cadre, une jeune fille, la seule avec une coiffe sur la tête, une Malvina ou une Gâtinelle à cornes très certainement. Mon arrière grand-mère maternelle Marie Louise Niveau. Et c’est une certitude familiale depuis toujours : Marie-Louise c’est celle avec la coiffe, elle avait quatorze ans, c’est l’école de l’Aujardière !
Effectivement, d’autres photos d’elle plus âgée confirment qu’il s’agit bien de Marie-Louise. Et puisqu’elle est née en 1872, dans le village de la Petite Rebardière, la photo daterait par conséquent de 1886… ou environ comme l’écrivaient les curés dans les registres paroissiaux !
D’autres indices accordent du crédit à cette date de prise de vue.
En tout premier lieu, les cahiers d’écolière de Marie-Louise.
Conservés tout ce temps dans sa maison devenue ensuite celle de sa fille, puis aujourd’hui dans celle de sa petite fille, leurs couvertures indiquent clairement « Ecole communale de l’Aujardière dirigée par M. Forestier Cahier appartenant à Marie-Louise Niveau » avec la date de début et de fin d’utilisation du cahier. En l’occurrence, celui ci-dessous a été commencé à la fin de l’année 1885. Les exercices sont issus d’un autre cahier pleinement utilisé en 1886.


En second lieu, la Loi Ferry en 1882.
Cette loi instaure enfin l’obligation scolaire pour les enfants de 6 à 13 ans et dans toute la France, des écoles se construisent. C’est ainsi que deux nouvelles écoles mixtes voient le jour à Verruyes, dans les villages de la Millancherie et de l’Aujardière.
L’école de l’Aujardière sera en fait situé à la Haute Bertière. Ils sont trois hameaux à touche-touche dans le coin : le village de l’Aujardière, celui de la Réfraire et l’ancienne métairie de la Haute Bertière. Au XXe siècle, ils ne feront plus qu’un, l’Aujardière.
Le financement de l’école de l’Aujardière a été approuvé le 8 décembre 1883 par le Conseil général des Deux-Sèvres et celui de la Millancherie, après réduction du budget semble-t-il, le 11 mars 1885.
En avril 1889, le Préfet des Deux-Sèvres, Félix Grenier, incluant des informations transmises par l’inspecteur d’académie, fait son rapport au Conseil général sur les subventions accordées à la construction des écoles de hameaux.
Pour cela, un million de francs avait été attribué par l’Etat au département des Deux-Sèvres. Le département a construit 54 écoles mixtes, 3 écoles spéciales aux garçons, 2 écoles spéciales aux filles soit 75 écoles représentant 91 classes. Alors que le prix moyen d’une école est estimé à 16 790 Francs et celui d’une classe à 13 838 Francs, l’école de l’Aujardière a coûté 18 325 Francs et celle de la Millancherie 18 740 Francs.
En 1889, l’école mixte de l’Aujardière comprend un logement et deux classes.
Elle permet d’atteindre 450 habitants dans un rayon de 1,5 km. Le hameau de la Millancherie, lui, ne compte alors que 16 habitants mais son école permet de toucher 588 habitants.
Le 1er novembre 1885 il a d’ailleurs été décidé de dédoubler la classe (filles, garçons).
Les délibérations du Conseil général indiquent aussi un total de 66 élèves en 1889 contre 37 un mois après la création de l’école de l’Aujardière.

Sur la photographie, sauf erreur, ils sont 52.
On peut supposer, dès lors, que les inaugurations des écoles, que ce soit celle de la Millancherie ou
de l’Aujardière, ont eu lieu après les moissons, vers octobre-novembre 1885.
La prise de vue à l’Aujardière pourrait alors avoir eu lieu début 1886, peut-être au printemps.
Certainement sous le ballet qui existe, accollé à la route. Les montants en bois
de chaque côté, sur la photo, permettent de le penser.
Les enfants et leur maître ne semblent pas être vêtus chaudement, comme ils auraient pu l’être en hiver, même si on ressent le côté festif qu’a dû représenter la séance de pose. La coiffe de mon arrière-grand-mère, certes, mais même si les blouses semblent nombreuses, les rubans ou les cols des filles, leurs bandeaux dans les cheveux, les foulards autour du cou des garçons, les vestes, le nœud du maître… Toute leur apparence, leur comportement, leurs regards, démontrent l’importance du moment.
Et question apparence, celle de Marie-Louise prouve qu’elle est la plus « grande » du groupe
et qu’elle porte bien ses quatorze ans ou environ. À la fin de l’année scolaire suivant l’ouverture de
l’école de l’Aujardière, il y a cependant 17 élèves ayant plus de 13 ans et dépassant ainsi l’âge
obligatoire.
Mais où Marie-Louise a-t-elle pu suivre un enseignement avant 1886 ? L’école publique du bourg,
qui existe depuis 1805, était réservée uniquement aux garçons à cette époque. Appartenant à une
famille de dissidents, il est peu probable – mais qui sait ? – qu’elle ait pu fréquenter l’école
confessionnelle de filles existant à Verruyes. L’enseignement fut-il alors donné à la maison ?
Quant à Monsieur Forestier, Romain Désiré de ses jolis prénoms, alors que nous sommes en 1886, il
a tout juste quarante ans. Il est né le 6 novembre 1846 à Xaintray. Un de ses frères, Charles,
deviendra aussi instituteur, notamment à Saint-Laurent-sur-Sèvre.
Romain Désiré est décédé peu de temps après cette aventure des nouvelles écoles, le 18 mars 1891.
Il avait quarante-quatre ans, c’était en pleine année scolaire, à son domicile de la Haute Bertière, aujourd’hui l’Aujardière, dans le logement de l’école.
Ils sont cinquante-deux + un sur la photo et deux seulement identifiés.
Alors … Q comme qui sont ces petits Verruyquois? et Q comme Que sont-ils ensuite devenus ?

