Gâtine, XIXe siècle – Auguste Niveault, un siècle de Petite Eglise (1)

Dans les archives familiales trouvées au début des années quatre-vingt dans la maison de mon grand-père, Denis, je découvre le livret de mariage civil de Auguste  Niveault ou Niveau ou encore Nivault, avec Marcelline Dutin, le 7 juillet 1896. Un autre livret de mariage, religieux celui-là, délivré le même jour, de la même année, mentionne leurs prénoms pour l’église, Augustin et Marie. Une mention intrigante est inscrite sur la première page, celle de leur filiation. Auguste est le fils de Louis Nivault, dissident, et de Rose Rimbault, catholique. C’est mon premier contact concret familial avec la Petite Église, alors que la légende disait que nous en avions été.

Nous avions des voisins en banlieue parisienne dans les années soixante-dix qui faisait encore partie de cette dissidence. Je savais donc succinctement de quoi il s’agissait. Originaires des Deux-Sèvres eux aussi, et plus précisément de Courlay, le dernier bastion fort de la dissidence dans le département, ils observaient les rites religieux d’avant le Concordat de 1801, d’avant  l’abandon de son pouvoir spirituel sur les catholiques français par l’Eglise de Rome. Caduc de fait avec la loi sur la laïcité  de 1905, il est encore en vigueur en Alsace et en Moselle.

Je me souviens que dans ces années soixante-dix, l’Eglise catholique romaine, après Vatican 2, avait entamé une mue impressionnante de modernisation dont témoigne le film d’Etienne Chatiliez, La vie est un long fleuve tranquille avec le personnage de prêtre interprété par Patrick Bouchitey et la chanson devenue mythique Jésus, Jésus reviens. Cette modernisation, que j’ai personnellement connue, entamée pour éviter le déclin inéluctable du nombre de pratiquants ne concernait pas les dissidents contemporains. Les périodes de jeûne étaient de moins en moins respectés, y compris celle du vendredi, pas pour eux ; les communions se faisaient de plus en rarement en aube, mais pour eux, il ne pouvait pas en être autrement. Les retraites à vivre avant la communion duraient trois jours, pour eux elles duraient un mois…

En 1801, Bonaparte, encore Premier Consul et pas encore Empereur, signe avec l’Eglise catholique de Rome, le Concordat qui lui donne notamment le droit de nommer les évêques, de modifier la géographie des diocèses, ou encore d’intégrer dans le clergé les prêtres constitutionnels, ceux ayant prêté serment à la jeune République française pendant la Révolution… le Pape Pie VII reconnaît aussi à cette occasion la République française. C’est un vif souhait de part et d’autre de mettre fin à l’instabilité révolutionnaire qui a aussi vu le soulèvement des provinces de l’Ouest de la France contre le nouvel ordre républicain avec les Guerres de Vendée.

Pour certains prêtres et leurs ouailles dans ces régions, c’en est trop. Ils préfèrent alors sortir de l’Eglise catholique romaine, qu’ils estiment les avoir trahis et se réfugier en dissidence, où ils seront leur propres maîtres, en revenant à la religion d’avant, d’avant la Révolution.

Au début de ce XIXe siècle, la communauté dissidente s’organise, s’entraide, se marie entre membres, des prêtres réfractaires au Concordat officient pour elle. Discrets, d’une grande rigueur morale, ils refuseront aussi d’envoyer leurs enfants dans les écoles confessionnelles et privilégieront l’école publique. Cela me fait penser qu’ils deviendront, ou plutôt leurs descendants, au XXe siècle, très paradoxalement, les meilleurs ambassadeurs de la laïcité et des valeurs de la République. Car les décennies passant, il leur devient plus difficile de persévérer, du fait du manque de prêtres que les membres ont fini par remplacer, de leur isolement, des mariages mixtes inéluctables, et peut être aussi d’un environnement plus laïque, moins religieux. Les membres se changent au fil des générations.

C’est le cas d’un changement qu’évoque le livret de famille religieux d’Auguste et Marcelline en 1896. Louis Nivault, le père d’Auguste y est mentionné comme dissident alors que sa mère Rose est stipulée catholique, ce qui signifie que ses parents ne se sont pas mariés à l’Église mais dans une chapelle, un lieu dédié à la dissidence. Mais laquelle ? Où ? Et est-ce Louis qui se serait changé  après son mariage ? Ou ne serait-ce pas plutôt  Auguste pour se marier avec Marcelline, presque cent ans après le Concordat ? Ces pratiques religieuses ne leur apparaissaient-elles pas comme surannées et bien pesantes à l’aube d’un XXe siècle plein de promesses de modernité et de liberté ? Pour le savoir, il me faudrait retrouver les actes religieux de baptêmes, de mariage ou de décès de Louis, qui par définition, peuvent ne pas exister ou ceux d’Auguste dont la réalité peut être plus évidente.

Mon idée, en effet, est que ce serait Auguste qui serait revenu dans l’église catholique romaine. Il me plait de penser que le soin extrême apporté à conserver ce livret religieux, le seul retrouvé par delà les générations, ne peut que prouver l’existence d’un acte capital dans la vie d’un homme.

Vous ai-je dit que lorsque j’en ai parlé à ma famille, je n’ai pas pu convaincre ? Je me trompais, me répondait-on, les dissidents n’étaient pas du côté de mon grand-père Denis mais du côté de sa femme, ma grand-mère Marie-Louise ?  😉

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