Cher fieul,
À toi aujourd’hui je m’adresse à seule fin qu’à ton tour tu me fasses réponse, tout en remerciant beaucoup ta mère de la peine fatigue qu’à pu lui causer le déplacement de dimanche dernier. À toi aussi je m’adresserais pour savoir lequel souvenir de Poitiers pourrait te faire plaisir. Ce dernier aurait pu être rapporté par ta mère mais tous les magasins étaient fermés qui ont causé l’impossibilité. Bien vite à moi tu peux le dire, je ferais tout mon possible ainsi que ta sœur mais dites moi le car je n’y connais rien. Pour moi, cher fieul, pas grandes nouvelles. Je suis toujours à ne rien faire, seulement que cette vie ne durera pas assez longtemps. Un détachement part ce matin, lequel n’est encore pour moi, mais un prochain doit partir samedi, lequel encore je ne puis dire seras pour moi. Toujours est il qu’il en faut quatre cent et que le dépôt vas être nettoyé. Si je part, je ferais mon possible pour aller au pays. En cas, je vous préviendrai avec un télégramme, toujours utile dans les cas nécessaires. … Pas plus pour aujourd’hui. C’est toujours en bonne santé que je quitte ma carte désirant qu’elle vous trouvent tous en bonne santé. Désireux également serais-je de vous revoir sans savoir quand. En attendant ce plaisir à toi les amitiés de ton parrain qui vous embrasse tous, bonjour à toute la famille.
V. Dutin
Louis Victorien, blessé au bras droit par une balle pendant la Bataille d’Ypres, le 27 octobre 1914, est évacué d’abord sur Bergues, dans le Nord, à proximité de Dunkerque.
La guerre est, contre toute attente quel que soit le camp auquel on appartient, déjà dévastatrice. Pour les soldats français dont la majorité était issue de nos campagnes, s’ils ne sont pas tous partis la fleur au fusil mais peut-être avec le simple espoir de découvrir d’autres horizons notamment professionnels, la victoire n’était qu’une question de semaines, voire de mois.
Cependant, en octobre 1914, les noms mythiques des batailles meurtrières sont déjà nombreuses : celles de Champagne, de Lorraine, d’Ypres, la contre-offensive de la Marne… ont déjà fait un nombre de blessés et de morts qui dépasse les prévisions les moins optimistes. La journée du 22 août est aujourd’hui considérée comme le jour le plus sanglant de l’armée française toutes guerres confondues. A l’arrière, loin du front, il faut alors organiser l’accueil de tous ces blessés et la réquisition des hôtels dans des zones touristiques est une des solutions mises en place.
Depuis Bergues, Victorien, est évacué sur Dunkerque et quelques jours plus tard, prend ainsi le bateau pour Cherbourg, ensuite le train pour Dinan et enfin la route, direction Saint-Briac, en Ille-et-Vilaine où il arrive le 4 novembre 1914 pour séjourner à l’Hotel des Panoramas, transformé en hôpital militaire, l’hôpital complémentaire n°47, HC47.
Celui-ci a commencé à fonctionner en septembre 1914 et peut accueillir 300 blessés, dispatchés en plusieurs lieux. L’Hôtel des Panoramas, après réquisition, devient l’hôpital central équipé de 108 lits dont 50 réservés aux soldats belges. L’Hôtel de Paris, les pensions de famille Britannia, Blanc Castel, Belle-Rive sont aussi réquisitionnées, tandis que la Villa Stella Maris est mise à disposition par son propriétaire.
Tout ce dispositif est complété par l’hôpital de la Sagesse, tenu par les religieuses du même nom. Le HC47 reçoit plutôt des blessés légers, principalement ceux qui ont fait la Grande Retraite et la Bataille de la Marne, comme Victorien.
De septembre 1914 au 2 septembre 1916, ce sont plus de 2300 soldats qui auront bénéficié de soins à Saint-Briac mais aussi 12 hommes qui y seront décédés. Louis Victorien a peut-être ainsi croisé pendant son séjour Cyrille Civet, un jeune auvergnat du 92e RI décédé le 3 décembre, Charles Benig, un soldat belge du 37e RI, mort le 6 décembre, ou Joseph Marie Bas, un Chasseur alpin du 53e BCA décédé le 22 décembre soit une dizaine de jours après que Victorien a quitté le HC47 pour Poitiers.
© Claude Quillivic – Inventaire général ADAGP
Patrimoine région BretagneCollection personnelle – D.R.
© Artur Guy – Lambart Norbert
Inventaire général ADAGP – Patrimoine région Bretagne
© Archives Santé Limoges
Victorien a déjà rejoint Poitiers depuis le 12 décembre 1914, lorsqu’il envoie le 16 février 1915 la vue de Saint-Briac qu’il a quitté après un peu plus d’un mois et demi de convalescence. Il est rentré au dépôt divisionnaire de Poitiers auquel son régiment appartient et attend de repartir au front. Il s’ennuie de ne rien faire, de ne pas pouvoir voir sa famille, semblant craindre un départ proche et les retrouvailles avec le son du canon. Poitiers… Verruyes, ce n’est pas si loin.
Et après avoir vécu les premiers mois d’une guerre déjà extrêmement meurtrière, alors que l’espoir d’une victoire simple et rapide s’est clairement évaporé, la mélancolie, chère à l’âme gâtinelle – ici avec quelques raisons – semble s’emparer de Louis Victorien. Parti aux armées le premier jour de la guerre, le 3 aout 1914, le parrain de mon grand-père, en ce 6 février 1915, est encore loin d’avoir achevé son périple.
[…] Sa dernière carte postale à Denis, son filleul, datée du 16 février, racontait la visite de sa soeur, Marcelline, la mère de Denis. Victorien culpabilisait de lui avoir fait faire ce voyage fatiguant pour elle. A peine envoyée, cette carte est suivie de celle-ci, datée deux jours après, le 18 février 1915. La veille, le 17, il a en reçu une de Denis lui proposant, à son tour, de venir à Poitiers. Il n’attend pas pour lui répondre. Oui, oui, oui que Denis vienne. Il ira à la gare, le chercher au train, qu’il soit là ou pas. […]
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